Un groupe de discussion lors de la conférence célébrant le 20e anniversaire du Groupe URD.
Au terme de la conférence de deux jours célébrée au siège de l’association à Plaisians (France) les 30 et 31 mai 2013 à l’occasion de cet anniversaire, le Groupe URD a publié un document synthétisant les « messages clés » qui sont ressortis des débats, lesquels ont impliqué près de 80 participants d’ONG, de gouvernements, d’instituts de recherche et d’agences onusiennes.
Si « la qualité est devenue un enjeu fondamental accepté dans le monde humanitaire » après 20 ans de débats, le document sur les messages clés souligne qu’il n’y a pour l’heure aucun consensus « sur ce qu’est – ou ce que l’on voudrait que soit – la qualité de l’aide ».
Pour les participants à la réunion du Groupe URD, « La qualité n’est pas la solution mais une démarche de remise en question pour ‹ mieux faire ›. Il faut donc « cesser de penser à partir de solutions ‹ toutes faites › et réapprendre à se poser les bonnes questions : voilà le cœur même de la démarche qualité ».
Dans ce contexte, la qualité doit être synonyme de « qualité pour les populations » touchées par une catastrophe ou un conflit. Pour ce faire, les organisations humanitaires doivent être « particulièrement vigilantes » et s’employer à redresser le rapport de force déséquilibré qui fait que la redevabilité envers les bailleurs (plutôt qu’envers les bénéficiaires) semble « naturelle ».
La « pertinence et le sens même de l’action » humanitaire sont des aspects fondamentaux de la qualité de celle-ci. De fait, la qualité ne s’obtient pas en cochant une « check-list de standards techniques à remplir ». Ainsi, il faut « s’interroger constamment sur la pertinence des standards utilisés, et plus généralement sur la démarche Qualité des organisations ».
Le document souligne que les organisations humanitaires occidentales, « très présentes hier et aujourd’hui souvent moins acceptées », sont confrontées aux « revendications grandissantes des acteurs d’autres pays ».
Partant de ce constat, le document avertit qu’il « serait tout aussi dangereux de s’enfermer dans le dogme de la désoccidentalisation que dans les dérives d’un ethnocentrisme aveuglant ». Et à cet égard, la clé du succès consiste à ne pas perdre la confiance des bénéficiaires de l’aide et des partenaires du Sud.
Plusieurs « risques » ont été traités au fil de différents sujets de discussion. Parmi ceux-ci, le risque d’être instrumentalisé à des fins non humanitaires. Car si « l’instrumentalisation n’est pas un phénomène nouveau, sa récurrence et son ampleur nous invite plus que jamais à rester vigilants. » « Voilà sans doute l’enjeu fondamental, celui de choisir ses propres dépendances ».
La plus grande professionnalisation du secteur humanitaire, que les participants à la réunion du Groupe URD ont qualifié d’« étape nécessaire », s’accompagne de risques et d’opportunités.
Tout en reconnaissant que « le système humanitaire a besoin d’individus maitrisant leur métier », les participants se sont demandés si « les masters d’aujourd’hui forment réellement aux besoins du secteur ».
« Si la professionnalisation du secteur présente des aspects positifs, elle n’en comporte pas moins de dérives », telles que la bureaucratisation et « la culture actuelle du ‹ zapping › entre les organisations ». Car en fin de compte, « avant d’y faire carrière, c’est une trajectoire de vie que nous traçons avant tout dans l’humanitaire ».
La réunion a également mis en avant le risque du « Value for Money ». Très en vogue actuellement, ce concept fait référence à l’« efficacité de l’aide ». Il soulève de nombreuses questions, parmi lesquelles : « Qui est légitime pour définir la valeur de nos actions ? »
Le document souligne que parfois, « il est impossible de savoir l’impact réel [de l’action humanitaire] ». Il est ainsi nécessaire, en particulier lors des dialogues avec des bailleurs, de « savoir faire entendre que certains projets sont difficiles mais essentiels ».
La discussion actuelle sur un système d’accréditation pour les organisations humanitaires a été l’un des sujets traités lors de la réunion marquant le 20e anniversaire du Groupe URD, et a également été le thème principal de l’atelier ad hoc organisé par le Groupe URD et Coordination SUD (Solidarité, Urgence, Développement), la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale.
L’atelier s’est déroulé à Paris le 20 septembre, en présence de 19 participants de 10 organisations. Et si ceux-ci étaient presque tous des responsables de départements au sein de leur organisation respective, le rapport sur l’atelier souligne que les résultats « ne reflètent que les réflexions individuelles des participants et ne constituent pas une prise de position des ONG représentées à l’atelier », preuve s’il en est que l’enjeu est élevé.
Les participants ont tout particulièrement analysé l’ébauche de modèle proposé par le projet de certification du SCHR (Steering Committee for Humanitarian Response), un groupe de neuf des organisations humanitaires les plus influentes.
Ce projet veut « identifier dans quelle mesure la certification pourrait aider les organisations humanitaires à démontrer qu’elles sont des partenaires crédibles, fiables, de confiance, et qui s’engagent à véritablement aller à la rencontre des besoins humanitaires actuels et futurs ». (L’ébauche de modèle du SCHR est à disposition pour contribution et feed-back jusqu’au 31 octobre 2013.)
En règle générale, les participants à l’atelier de Paris n’étaient pas opposés à la certification des acteurs humanitaires en tant que telle. Pour citer le rapport de l’atelier, « un système de certification pourrait renforcer la mobilisation interne autour des démarches Qualité propres à chaque organisation et la mobilisation collective des ONG dans le partage des bonnes pratiques » – c’est bien l’objectif « qui semble le plus utile ».
Cela étant, « d’importantes lacunes » ont été identifiées dans l’ébauche du modèle du SCHR. Parmi celles-ci, « l’exemple de référentiel proposé ici nous a paru essentiellement basé sur une approche technocratique et instrumentale, oubliant de mentionner ce qui devrait être au cœur même du dispositif, la qualité de nos interventions ». Plutôt que d’améliorer la qualité de l’action humanitaire, « cette certification serait un ‹ encadrement › des ONG ».
L’un des principaux aspects mis en lumière par les participants à l’atelier est la composition de l’organe de gouvernance central proposé par l’ébauche de modèle. « On ne sait pas d’où/de qui il tire sa légitimité, qui l’a désigné et à qui il doit rendre compte ».
Le rapport souligne par ailleurs que « l’auto-désignation ou la cooptation des membres » ne serait « ni logique ni recevable ». Il suggère donc que les membres de l’organe de gouvernance soient plutôt élus, par exemple, par les organisations qui ont signé le Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les organisations non gouvernementales lors des opérations de secours en cas de catastrophe (515 organisations à l’heure actuelle).
Un autre aspect essentiel a trait au choix des principes humanitaires dans l’ébauche du modèle de certification, qui ne retient que l’humanité et l’impartialité. « Cette sélection risque d’affaiblir les autres principes (l’indépendance et la neutralité) en introduisant l’idée qu’il y aurait une hiérarchie […] entre principes humanitaires ».
Le rapport souligne le risque qu’« une notation par niveaux », telle que proposée par l’ébauche de modèle du SCHR, pourrait entraîner « un accroissement de la compétition entre organisations et une ‹ notation/classement › par les bailleurs et le grand public ». En d’autres termes, le système « affaiblirait considérablement l’intérêt de la certification pour des ONG qui n’atteindraient pas le niveau maximum ».
L’atelier a donc ainsi proposé un modèle avec « un seul label » qui ne ferait qu’« une seule distinction : entre des organisations certifiées et non-certifiées ».
Enfin, les participants à l’atelier ont mis en avant le besoin de « ralentir » les débats autour du modèle de certification du SCHR « afin de permettre une véritable consultation ». De même, ils précisent que « reporter de cinq à six mois les échéances représente pour nous une condition de notre implication dans la suite du processus ».